lundi 11 juin 2012

BH-La notion de miracle militaire et l'exemple prussien


Bismarck-Roon-Moltke
Par analogie avec les miracles économiques on peut parler de miracle militaire lorsqu’une armée obtient soudain des résultats étonnants au regard de ses performances passées ou des moyens limités dont elle dispose. On peut ranger dans ces catégories l’armée suédoise de Gustave-Adolphe, l’armée de la Révolution française et de l’Empire, l’armée prussienne au XIXe siècle, l’armée paraguayenne dans la guerre du Chaco, l’armée israélienne des années 1950-1960, l’armée égyptienne de 1967 à 1973 et quelques autres. Il y a dans ces exemples certainement de quoi alimenter la réflexion sur la transformation des armées françaises. Prenons le cas de l’armée prussienne, la plus modeste parmi les grandes nations européennes en 1815 et première puissance militaire mondiale cinquante ans plus tard.

Le maître-mot de ce miracle est la confiance.

Confiance, un peu forcée et encadrée mais réelle, dans le peuple, dont la Révolution française a montré qu’il pouvait combattre courageusement. Puissance européenne la plus pauvre et la moins peuplée (10 millions d’habitants contre 29 en France), la Prusse ne peut se permettre l’entretien d’une armée professionnelle et seule parmi les nations européennes, elle maintient la conscription et le système de la réserve (Landwehr). Avant la théorisation par Clausewitz, la Prusse a bien compris que la force d’une nation vient du peuple, qu’il s’agit donc d’associer autant que possible aux affaires militaires.

Confiance ensuite dans les officiers d’état-major. Ces techniciens sont d’abord formés pour être les planificateurs de cet exercice complexe de regroupement, de transport et d’équipement au plus vite de centaines de milliers d’hommes et de chevaux. Le grand état-major devient le précurseur de la technostructure des grandes sociétés. C’est La Main visible d’Alfred Chandler et le premier moyen de réduire la friction clausewitzienne. Directement connectés à la société, ces hommes comprennent très vite que dans le contexte de la Révolution industrielle, les paramètres démographiques, sociologiques, économiques et techniques évoluent sans cesse. Leur fonction s’élargit donc à la préparation de la guerre dans un contexte de changement permanent. Pour cela et alors qu’ils ne font pas la guerre ils adoptent un processus d’apprentissage et d’innovation inspiré des sciences expérimentales en plein développement. Les officiers d’état-major utilisent un front virtuel et permanent fait d’exercices de simulation (jeux de guerre, grandes manœuvres), de retour d’expérience des conflits du moment et d’analyse de l’histoire pour tester et intégrer les innovations en tout genre (chemins de fer, télégraphe, fusil à âme rayé, combat de tirailleur sur une ligne, etc.) dans un système cohérent de mobilisation et d’emploi des forces. Comme des scientifiques, ces officiers de tout grade ont le devoir de proposer des idées nouvelles et de les confronter au débat et à l’expérimentation.

Confiance enfin dans les cadres de contact. Après le scientisme des officiers d’état-major, l’autre manière de s’adapter à la friction de ces campagnes géantes et de faire confiance aux officiers sur le terrain. Ceux-ci ont une grande liberté d’action pour accomplir la mission reçue, dans le cadre d’une formation commune très poussée qui fait que chacun peut anticiper ce que va faire le voisin. L’audace et l’opportunisme sont des valeurs premières.

Le miracle militaire prussien est avant tout une « révolution dans les affaires humaines ». L’implication massive du peuple dans la chose militaire, la liberté d’expression et de réflexion des officiers, la confiance dans le sens du devoir et l’intelligence de tous sont les trois forces qui vont donner à l’armée prussienne une supériorité écrasante sur toutes les armées de son temps.

En considérant cet exemple comme toujours pertinent, que faisons-nous pour replacer la nation dans l’armée, pour produire des idées neuves et instaurer la confiance et l’audace à tous les échelons ? 

4 commentaires:

  1. Le miracle prussien est à mon avis à mettre en relation avec la révolution industrielle prussienne.

    Là où certaines armées ont permis à l'économie de se développer (on pense bien sûr ici à l'Armée d'Italie de Bonaparte), la révolution industrielle a pû donner les moyens à l'armée prussienne de devenir un outil efficace.

    Comme vous l'avez souligné, il existait un lien important entre les ingénieurs, scientifiques, industriels,...et l'armée.

    Quels sont les conditions d'une telle efficacité dans cette coopération?

    Je pense que l'on peut établir plusieurs points communs entre l'exemple prussien et les brigades Stryker évoquées précédemment:
    -une politique d'armement efficace (production nationale, acquisition à l'étranger, ou hybride).
    -une réelle réflexion sur l'intégration dans un système global des différents armements (ce qui implique un réel dialogue entre les militaires et leurs besoins et les industriels et leurs possibilités).
    -une volonté forte de mener à bien la création de l'outil militaire souhaité.

    Qu'en est-il en France?

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  2. @cher mr Goya
    nous serions tres heureux d'un bon post concernant ,la theorie des cinq
    cercles du colonel John A WARDEN III ,certainement le plus grand stratège de la guerre aerienne moderne,bien sur cette theorie renvoie
    Clausewitz,Doolittle ,Lemay et Harris bomber au carnaval de Rio,mais
    l'execution de cette theorie permet le limiter les pertes induite de l'element terrestre

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  3. Hello,

    Merci pour cet article. Je te rejoins dans l'idée de "révolution dans les affaires humaines" mais en prolongeant la boucle historique plus loin. Pour moi on ne peut expliquer l'armée prussienne de la fin du XIXe sans le choc incroyablement violent que fut pour ce pays la défaite de 1806. C'est en mettant la Prusse (et son armée) en "zone de mort" que Napoléon a paradoxalement créé les conditions de l'émergence de la puissance prussienne des années 1850-1870. La désagrégation d'une armée d'ancien régime trop sûre d'elle, se reposant exclusivement sur les conceptions frédériciennes de la guerre, avec un corps d'officiers supérieurs sans formation intellectuelle va ouvrir la voie (et surtout l'espace politique) nécessaire aux réformes pour en faire une machine de guerre plus qu’impressionnante (d'abord avec le couple Scharnhorst-Gneisenau puis avec Moltke-Roon). Bref ce n'est qu'en sortant (de la manière la plus brutale possible) de ses certitudes que l'armée prussienne est devenue une machine évolutive.

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  4. Belle analyse.
    Outre les facteurs "qualitatifs" pertinents évoqués ci-dessus je me permets de souligner l'importance de la dimension strictement démographique soutenant la logique des gros bataillons avec laquelle la Prusse est la première à renouer au milieu du siècle.

    Certes la Prusse "historique" de 1815 n'est, vous le rappelez, qu'une puissance modeste ne comptant qu'une dizaine de millions d'âmes. Mais elle en comprend déjà à elle seule le double au moment de la guerre des Duchés et en 1870, si l'on prend l'ensemble des états allemands de la CAN (Saxe, Hesse...) ou des alliés du Sud (Bavière, Bade, Wurtemberg) dont l'intégration militaire est, si ce n'est totale, au moins très avancée, les populations sont "globalement comparables"; surtout, le dynamisme démographique - donc les jeunes classes - est déjà à l'avantage de l'Allemagne.

    On assiste donc à cet égard tout au long du XIX à un renversement progressif des équilibres démographique qui sous-tend la montée en puissance du militarisme prussien, facteur certes insuffisant mais nécessaire pour expliquer le "miracle" qui ne prendra paradoxalement toute sa dimension qu'en 1914.

    A titre indicatif et pour alimenter la réflexion, quelques chiffres : http://www.tacitus.nu/historical-atlas/population/germany.htm

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