mardi 3 juillet 2012

BH-Les nouveaux centurions (4/4)-Pour une guerre de corsaires

Que faut-il retenir de cette intervention au Tchad dans le cadre de l’opération Bir Hakeim ?
Je crois que l’opération au Tchad est le modèle de la « guerre de corsaires » que la France devrait mener pour défendre ses intérêts dans le monde. La guerre de corsaires, concept adapté de la guerre d’Indochine, c’est la capacité  à projeter en quelques jours une force capable de se fondre dans n’importe quel contexte étranger et d’y réussir une mission limitée dans le temps, y compris une mission de contre-insurrection.
La vitesse d’intervention a été une des conditions du succès au Tchad, comme dans beaucoup d’autres d’interventions, et celle-ci a été obtenue grâce à un processus de décision purement bilatéral entre la France et le Tchad (à comparer avec le montage de l’opération Eufor-Tchad par exemple) et des moyens nationaux dédiés à la projection de forces. A aucun moment, il n’est question d’un mandat du Conseil de sécurité des Nations-Unies (qui aurait eu aussi pour effet également de restreindre la liberté d’action).
Ensuite même si le politique garde la main sur les opérations et reste sensible au faible soutien de l’opinion publique, il laisse néanmoins une grande liberté d’action aux militaires tant que ceux-ci restent dans leur domaine et ne se mêlent pas de politique. L’embuscade de Bedo et ses 11 morts suscite un certain émoi dans l’opinion, qui découvre véritablement à cette occasion l’existence de cette guerre, et met le gouvernement dans la gêne (cf le communiqué « rassurant les familles car il ne s’agissait que de soldats engagés »). Pour autant, on ne s’immisce pas dans les opérations en cours qui d’ailleurs deviennent de plus en plus dures. La peur des pertes (entre 44 et 50 morts selon les sources, dont 26 à la CPIMa) n’a pas entraîné d’intrusion politique et de paralysie opérationnelle.
Sur la forme même de l’engagement militaire, ce qui est d’abord frappant, c’est la fusion qui a été réalisée très vite avec les forces de sécurité locales, que ce soit par l’injection de conseillers dans les unités ou par l’intégration de ces unités dans les groupements français. Cela présente l’avantage de gonfler le volume de forces mais aussi d’associer les capacités tactique et les moyens français à la connaissance du milieu. Cette fusion est évidemment facilitée par la connaissance préalable du milieu qu’ont beaucoup de Français, par la langue commune et par la culture des Troupes de marine. Elle ne peut exister cependant que par l’acceptation de la « greffe » par les locaux qui doivent y trouver un intérêt. Le « combat couplé » a permis de réussir au Tchad en 1970-1971 mais aussi en Afghanistan en 2001, à Bagdad en 2007 et, dans une moindre mesure, en Libye en 2011. C’est une capacité qui paraît désormais essentielle.
Ensuite, c’est le caractère extrêmement mobile des opérations françaises. Les troupes françaises sont presque en permanence sur le terrain, en nomadisation, en patrouilles, en embuscade. Elles ne cherchent pas d’effet sur le terrain (protéger un site ou des routes) mais sur l’ennemi. Bien sûr, l’infanterie de l’époque ne porte pas de gilets pare-balles, pourtant pour un soldat français qui tombe, ils sont peut-être plus de cent à la faire en face. Peut-être que la mobilité, l’agressivité, la connaissance du terrain et la parfaite coordination avec des appuis feux eux-aussi très mobiles, sont de meilleures protections que l’acier et les murs.
Cette intervention est un cas d’école de « contre-insurrection éclair » avec un excellent rapport coût/efficacité dont il faut, je crois s’inspirer, et pas seulement en matière de COIN.

5 commentaires:

  1. Rédacteur : Air 76.

    Précision.

    - La première intervention au TCHAD s'est terminée en 1975 et non en 1972. Les 2 unités de l'Armée de l'Air, 1/22 AIN (AD4)+GMT 59 (H34, avions et hélicoptères de transports) ont été classées en unités combattantes de 1969 à 1975, source " SHAA Armée de l'Air 26/03/1997 ".

    - De 1969 à 1972 état major Franco/Tchadien dirigé par un général Français.
    - De 1972 à 1975 état major Tchadien/Français dirigé par un officier supérieur Tchadien.

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    1. Vous avez raison. Le 6e RIAOM et l'AMT ont quitté également le Tchad en 1975. Je vais préciser.

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  2. Sur ces campagnes, le livre (publié en à compte d'auteur(s?) aux éditions de la Grande Bosse) Les filleuls de la Drian, propose des témoignages très vivants, dont le récit du combat de Bedo en 1970 (JP Rafenne, CPIMa), celui de Michel Stouff (3° RIMa), ceux de Michel Avelange et de Bernard Thorette (intégrés dans l'armée tchadienne), de Pierre Beaufils et Alain Gosset(CPIMa), Daniel Marret (peloton méhariste du Tibesti !), celui de la mort du lieutenant Laval-Gilly (CPIMA, 1972).
    Toujours au Tchad mais plus tard (1978), lire le récit consacré à l'escadron d'Hubert Ivanoff (1/REC), la description de Tacaud (G.Sonnic, 3° RIMa.

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  3. Merci pour à la fois pour cet éclairage des opérations françaises au Tchad qui doivent pour maintenant et pour l'avenir être une source importante de réflexion.

    Je me permets de relever dans le texte un point (de détail) qui me semble pourtant important : "Cette fusion est évidemment facilitée par la connaissance préalable du milieu qu’ont beaucoup de Français, par la langue commune et par la culture des Troupes de marine." Si l'état d'esprit du corps de troupe est important, la question de langue est aussi déterminante. Ainsi à moins de se limiter au périmètre des territoires où le français est une langue de communication (en faisant alors l'hypothèque de toute forme alternative de communication et de compréhension), il va être nécessaire de prévoir un important investissement en langue étrangère et rare.
    Cet investissement ne devra pas se faire uniquement au niveau de quelques spécialistes, mais au niveau des chefs de section et de leurs adjoints. Considérant qu'il faut de toutes les manières un niveau d'anglais très avancé et pourquoi pas une autre langue européenne de communication, on va devoir mettre en place de très gros moyens en terme de formation initiale, de formation continue et probablement réfléchir à la manière dont on recrute.

    En vous remerciant encore beaucoup pour se blog si important aujourd'hui

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  4. Pour moi, la guerre de corsaires, telle que vous la définissez, est celle dans laquelle l'armée française actuelle, avec son héritage et ses espoirs, peut avoir une grande capacité de nuisance contre n'importe quel autre adversaire, y-compris sur son propre terrain.

    Cela dit, l'actualité me dément sur ce point, pour l'instant: deux soldats tués en Guyane.

    Dans cette opération, ce sont des forces de l'ordre (donc pas des corsaires) qui ont agi de façon suffisamment prévisible pour être très vulnérables face à un dispositif de défense désinhibé (donc risque tout) et bien armé, avec du point de vue de l'adversaire, de bonnes raisons d'être combattif (défense de l'or).

    Mais dans l'ensemble, cette opération se voulait corsaire.

    On mesure donc que la guerre corsaire n'est pas seulement une application offensive, mais, dans le cas que je vise, très défensive: il s'agit de protéger le territoire de la république, aux dernières nouvelles, avec une base stratégique majeure (Kourou) pas très loin.

    En réalité, la guerre corsaire est un point d'entrée dans la grande stratégie: on est de plain pied dans les intérêts supérieurs de la nation.: uranium dans le cas dont vous parlez, conquête spatiale dans celui dont je parle.

    Mais ce point d'entrée est incident, accessoire. Raison pour laquelle il n'y a pas trop de pollution du politique, comme vous le relevez. Dans la guerre corsaire, le politique lui-même n'a pas pleinement conscience de la mise en jeu de l'intérêt supérieur de la nation: au mieux, ou au pire, il peut être localement impliqué dans de la corruption ou du trafic d'influence, par exemple, ou dans une sorte de "Grand jeu" très local.

    La guerre corsaire ne fait jamais penser à la stratégie, d'emblée parce que c'est ce moment où les militaires et les politiques sont d'accords pour "tenter un coup".

    Il faut noter que les militaires n'ont pas forcément une meilleure conscience de ce qui est en jeu à ce moment là.

    Le génocide du Rwanda est en partie le résultat de ce genre de jeu.

    Donc, oui, la guerre corsaire est un modèle tactique et stratégique intéressant, mais il suppose des degrés de conscience et de lucidité qui ne sont que rarement atteints, en pratique.

    L'outil opérationnel de la guerre corsaire, il est là, il existe. L'opportunité d'emploi, elle existe. Mais c'est la pensée qui manque.

    Si cette pensée manque, c'est qu'elle est finalement assez peu adaptée à nos structures politiques.

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