samedi 26 septembre 2015

Lorsque les dividendes de la paix et l'engagement de l'armée française en sécurité intérieure facilitèrent le déclenchement d'une guerre mondiale


Réédition d'un article paru le 15/09/2012 sous le titre Crise militaire

Les armées peuvent aussi subir des crises en temps de paix. Une des plus sévères de l'armée française a eu lieu au tout début du XXe sicèle et ses conséquences stratégiques ont été considérables. Cette crise est la conjonction de plusieurs phénomènes. Le premier est la croyance que la guerre entre les nations européennes est révolue du fait de l’interpénétration des économies issues de la première mondialisation, du triomphe de la raison positiviste et de la dissuasion des armements modernes.
La première conséquence de cette croyance est l’empressement à toucher les « dividendes de la paix » et à ponctionner le budget militaire pour tenter de résoudre les difficultés financières de l’Etat. Les crédits d’équipements de l’armée chutent ainsi de 60 millions de francs en 1901 à une moyenne de 38 millions de 1902 à 1907 avant de revenir à 60 millions l’année suivante et monter jusqu’à 119 millions à la veille de la guerre. Le ministère des finances s’évertue par ailleurs par de multiples procédés à ce que cet argent ne soit jamais complètement dépensé. Ce creux budgétaire est une des causes du retard considérable pris par la France dans l’acquisition d’une artillerie lourde.
La deuxième conséquence directe de cette remise en question du rôle de l’armée est à mettre en relation avec le service militaire universel qui s’impose pour la première fois avec la loi de 1889 aux fils des classes aisées et aux intellectuels. Ils y rencontrent une institution dont la culture est encore héritée du Second Empire, voire de l’Ancien Régime, époque où, selon L’Encyclopédie, « le soldat est recruté dans la partie la plus vile de la nation ». De cette rencontre naît, chose inédite, une littérature de la vie en caserne, souvent peu flatteuse pour l’armée (Le cavalier Miserey d’Hermant, Les sous-offs de Descaves, Le colonel Ramollot de Leroy, etc.). Ce mouvement critique (qui suscite en réaction des articles comme Le rôle social de l’officier de Lyautey en 1891), vire à l’antimilitarisme après l’affaire Dreyfus (1898).
Ce divorce prend une nouvelle tournure avec l’arrivée au pouvoir des Radicaux en 1899, bien résolus à transformer un corps d’officiers « recrutés dans les milieux traditionnalistes et catholiques et vivant en vase clos, jaloux de leur autonomie et attachés au passé » (Waldeck Rousseau). L’affaire des fiches (1904) fait éclater au grand jour cette politique d’épuration et jette d’un coup la suspicion sur le corps des officiers généraux nommés sous ce pouvoir politique.
Pire encore, en l’absence de forces spécialisées, l’armée est massivement employée dans des missions de sécurité intérieure, dans le cadre des inventaires des congrégations (1905), des grèves des mineurs du Nord (1906) et des viticulteurs (1907). L’antimilitarisme se répand aussi dans les milieux populaires. Il y a 17 000 insoumis en 1909. Lorsqu’il faut mettre en œuvre le service à trois ans en 1913, la rumeur se répand que la classe 1911 sera prolongée d’un an, ce qui provoque des troubles dans plusieurs garnisons. On préfère donc faire appel simultanément à deux nouvelles classes, ce qui pose d’énormes problèmes de logement, d’instruction, etc. Au moment de la mobilisation d’août 1914, on est encore persuadé qu’il y aura environ 15 % de réfractaires (0,4 % en réalité). La leçon sera comprise puisqu’après la guerre, on créera des unités non-militaires de maintien de l’ordre pour éviter à l’armée de se couper de la nation par ce type de mission.
Durant cette période noire, le moral des officiers s’effondre. Les candidatures à Saint-Cyr et Saint-Maixent chutent. Les départs se multiplient notamment chez les Polytechniciens, pour qui la voie militaire sera désormais marginale. La pensée militaire française, renaissante à la fin du XIXe siècle avec l’Ecole supérieure de guerre, s’éteint. Plus personne n’ose écrire de peur de sanctions. Même les règlements tactiques ne sont pas renouvelés pendant des années.  
L’ambiance change à partir de 1911 avec le changement de gouvernement et surtout la montée rapide des périls qui transforment d’un coup la perception que l’on a de l’emploi des forces. Aussi sûrement que la paix était certaine, à peine quelques années plus tôt, la guerre apparaît désormais comme inévitable. Or, l’armée française n’est plus aussi prête à la guerre qu’avant la crise. Elle, qui était en pointe des innovations à la fin du XIXe siècle, a pris du retard par rapport aux Allemand. De nouvelles technologies comme le téléphone ou le moteur à explosion se développent en pleine paralysie intellectuelle des militaires qui les ignorent largement. Le corps des généraux, issu de la période, est tel que 40 % d’entre eux seront « limogés » dans les premiers mois de la guerre pour incapacité. La lâcheté apparente de ces mêmes généraux face aux décisions politiques désastreuses d’avant-guerre pousse à la contestation un certain de jeunes officiers, baptisés Jeunes Turcs. Leur mouvement, salutaire par de nombreux aspects, va aussi conduire à cette forme de psychose collective que l’on appelle l’ « offensive à outrance ». En 1914, constatant toutes ces faiblesses, le Grand état-major allemand est persuadé que c’est le moment d’attaquer la France.
Autrement dit, des décisions prises en quelques années comme la réduction des moyens ou l’emploi en sécurité intérieure, ont suffi pour affaiblir considérablement la capacité de dissuasion de l’armée française. Le XXe siècle tout entier s’en est trouvé transformé. 

24 commentaires:

  1. Analyse assez lumineuse du début du 20° siècle sur cette crise à la fois politique et militaire mais aussi sociétale.
    En modifiant très légèrement quelques mots, on pourrait croire qu'il s'agit d'une description de la fin 20° début 21° siècle.
    cela n'est pas très encourageant, surtout qu'il y a en plus un facteur intérieur qui va prendre de l'ampleur et devenir majeur...

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    1. @ arnaud,

      Bon, soit. On est tous d'accord pour dire qu'il y a une montée des périls à l'international et une contrainte budgétaire qui place la défense en position de variable d'ajustement, ce qui tombe plutôt mal.

      Certes, une doléance sociale - très minoritaire jusqu'à présent - pour l'emploi de l'armée à des missions de sécurité intérieure (autres que celles relevant de la sécurité civile ou de la lutte anti terrorisme, donc des missions de maintien de l'ordre) se manifeste par la voix d'élus locaux débordés.

      Peut être que les cadres de l'armée n'ont pas le moral et qu'il y a des phénomènes de repli sur soi qui favorisent le conservatisme des mentalités et l'immobilisme doctrinal.

      Tout cela est admissible, bien que cela ne rende pas forcément le parallèle entre la situation du début du XXième siècle et celle d'aujourd'hui aussi évident qu'on pourrait le penser au premier abord.

      Mais, qui est l'ennemi?

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  2. Exact il y a bien des analogies entre le contexte décrit dans cet article, et celui actuel. Au début 1900 l'interpénétration des économies était assez similaire, quantitativement et qualitativement, à celle de la mondialisation du XXI ième siècle. Seule différence, elle concernait majoritairement les échanges entre pays Européens. Certes il y en avait aussi vis à vis des empires coloniaux d'alors, mais leur importance était sans commune mesure avec ceux actuels et notamment des pays du SEA. Comme quoi est erroné le postulat fort répandu à la fin du XX sème siècle, entre autre suite à l'effondrement du bloc soviétique : " forte interdépendance économique = forte régression des antagonismes politico-culturels-religieux = annihilation du risque de guerre ".

    Pour ce qui est de l'usage fréquent de l'armée pour des missions de sécurité intérieure, et qui a généré une fracture entre celle - ci et une partie de la population : ouvriers et certaines catégories d'agriculteurs. Cela est loin d'âtre une spécificité de la fin du XIX ième / début XX ième siècle, et spécifique à la France. Pendant tout le XIX ième siècle et même avant, ces missions de sécurité intérieure étaient dévolues aux armées.

    Jusqu'aux années 1840-60 ces missions, elles concernaient quasi exclusivement les troubles-révoltes d'ordre avant tout politique. En conséquence les réprimés ne représentaient généralement qu'une faible part de la population d'un pays, au plus ceux d'une province : cas de la guerre de Vendée, et commune de Paris. A partir du milieu du XIX ième et donc révolution industrielle, ces missions visent principalement des mouvements-troubles sociaux. Les réprimés ne sont plus alors des minorités appartenant principalement à la petite-moyenne bourgeoisie, ou encadrés par elle, mais des catégories sociales populaires bien plus importante en nombre. Certes les révoltés-réprimés ne sont qu'un faible % au sein de ces populations, mais l'ensemble de ces dernières se sentent concernés à des degrés divers.

    A mon sens cette fracture entre armée et une partie de la population, au premier chef monde ouvrier et partie celui agricole, elle est pré existante à l'instauration du service militaire obligatoire pour tous. Elle s'accentuera après, car entre 1890-1910 grèves et mouvements sociaux d'ampleur seront plus fréquents et massifs. On peut s'étonner de l'absence d'imagination des responsables politiques d'alors et quelque soit leurs obédiences, sur les conséquences de cet emploi de l'armée. Mais ma remarque est empreinte d'anachronisme, la notion et mise en place de forces civiles dédiées à ce genre de mission elle n'apparaît en Europe que dans les années 20.

    Cet antimilitarisme " populaire " et qui a longtemps perduré, il est bien différent de celui d'un partie des élites intellectuels d'alors et qui fut le fruit de l'affaire Dreyfus. Celle - ci bien que fortement médiatisée, elle ne passionna qu'une infime partie de la population et indifférera les catégories populaires : bien plus préoccupées par leur condition sociale, et pour qui Dreyfus n'était qu'un membre de cette bourgeoisie qu'elles ne prisaient guère.

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  3. Toutes ces analyses sur l'armée et la société Française juste avant le premier conflit mondial, ainsi que les précédents billets sur l'adaptation de l'armée Française aux nouvelle conditions de ce conflit, ses innovations et la mise en place d'un embryon de "pensée opérationnelle" en 1918 sont passionnants - et trouvent en effet un écho bien étrange dans l'actualité.
    Existe-t-il un (ou plusieurs) ouvrage(s) couvrant ces sujets plus en détail ? Merci

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    1. Bien sûr, ça s'appelle "la chair et l'acier".

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    2. Je confirme, jamais rien lu de mieux.

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    3. ... je connais donc mal la biblio de notre hôte :) je vais réparer cette erreur de ce pas. Merci pour vos réponses !

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    4. Juste une précision de biblio, qui ne concerne pas directement Michel Goya:

      Il y a deux "Comprendre La Guerre"

      Il y a en un de Vincent Desportes, qu'on ne présente plus:

      Gros ouvrage, 400 pages. Ed. Economica, 2001.

      Et puis, il y a celui qui est signalé en marge à droite de ce blog et sous titré "Histoire et Notions" de Henninger et Widemann.

      Je n'avais pas noté la similitude des titres, qui doit attirer l'attention.

      Quand on reçoit deux invitations d'une telle qualité, séparées par si peu d'années, et servies par autant d'intelligence, on doit admettre que comprendre la guerre fait décidément partie de ce que doit faire l'honnête homme de notre époque.

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  4. Mon Colonel,
    Nos "élites" savent-elles lire? Si oui, n'hésitez pas à leur envoyer copie de votre post. Peut-être que 3 à 4% d'entre-elles pourraient le comprendre et en déduire quelque chose... Peut-être même décider sans perdre du temps avec le Livre Blanc, de voter des budgets en hausse!

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  5. @Marcus
    Comme l'indique ce post la vision de la nation sur son armée a changée avec l'appréhension de la guerre inévitable... Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je m'avance à dire que le français ne se sent pas actuellement en danger de conflit imminent. A partir de là et c'est peut être malheureux il est évident que l'outil militaire ne peut avoir de priorité budgétaire.

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    1. @ Montaudran
      Jadis nos hommes politiques disaient la vérité aux Français... Les informaient, et les formaient... aujourd'hui ils ne cessent de répéter, "en sautant comme des cabris", plus de guerre de haute intensité, les dividendes de la paix, et autres fadaises... Il n'est donc pas étonnant que nos concitoyens soient sous-informés sur les dangers possibles ou prévisibles, et par conséquent qu'ils ne se sentent pas en danger de conflit imminent.
      Pour autant, celà enlève-t'il le poids de la responsabilité à nos élites? L'obligation pour eux de s'informer, d'analyser et de décider, même à contrario de ce qu'imagine leur électorat depuis longtemps endormi?

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    2. @ Marcus,

      je pense que vous faites erreur. Il y a une perception suffisamment nette des risques de conflit par l'opinion publique pour qu'elle s'inquiète, bien que cette préoccupation ne figure pas en tête du palmarès des grandes angoisses, selon les études d'opinion.

      Le problème est que le risque est diffus, donc difficile à cerner. Cette difficulté à conceptualiser un ennemi "désigné" contre qui se préparer à faire la guerre n'est sans doute pas étrangère au fait que la guerre recule dans notre trouillomètre collectif.

      Par ailleurs, la contrainte budgétaire est telle qu'il est difficile d'expliquer pourquoi on donnerait la priorité au réarmement de la France, alors qu'on a pas d'ennemi à mettre en face de nos canons, et que la crise économique place le chômage et l'inquiétude pour l'avenir aux premiers rangs des préoccupations quotidiennes des Français.

      Dans ces conditions, n'importe qui vous dirait bien plus facilement que le véritable ennemi de la France c'est la pauvreté, plutôt que le Russe, l'Iranien, le Chinois ou le Musulman.

      Les politiques ne font que suivre ce mouvement.

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    3. Si la population n'identifie pas de dangers, c'est qu'elle est mal informée par ses élites... CQFD
      Le simple fait que de nombreux pays, peu amicaux vis à vis de l'occident, réarment à toute vitesse, est un danger énorme, mais jamais relayé par nos médias vers la population. D'autre part, la soit-disant pauvreté de la France est relative. Quand la République continue à s'offrir tant de danseuses inutiles et budgetivores... Enfin, l'armement est produit en France, normalement, et rien que cette industrie est une source de richesse et d'emploi pour le pays...

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    4. @ Marcus,

      L'usage du "CQFD" est, d'après moi, strictement réservé aux mathématiques ou aux sciences dites "exactes".

      Pour le reste, on dit: "voila pourquoi votre fille est muette", tel sganarelle.

      La courtoisie m'interdit de vous imaginer en Sganarelle au chevet d'une France, malade, car cela serait franchement ridicule (dans la mesure où on peut se demander lequel des deux est à la clinique de l'autre).

      Maintenant, ma réponse:

      - La population ne dépend pas que des élites pour son information: elle compte aussi sur les instruments de son intelligence et de sens commun et surtout sur ceux de la liberté, en premier lieu la liberté d'expression, qui permet à ce blog d'exister et à nous de discuter.

      Ne soyez pas surpris si peu répondent présent quand nous disons des âneries, mais beaucoup nous regardent, et ils nous jugent.

      - De nombreux pays, peu amicaux à l'égard de l'Occident, réarment, dites-vous: ils ont peut-être leurs propres problèmes (à nous de les comprendre), qui n'ont rien à voir avec nous (à nous de le comprendre), alors que nous-mêmes n'avons pas forcément totalement à voir avec ce qu'on appelle l'Occident (à nous de l'assumer).

      En stratégie, il ne faut pas hésiter à être égocentrique, ça évite de s'embarquer dans des guerres lointaines sans savoir ce qu'on a à y gagner.

      Et il ne faut pas hésiter à être habile: on peut, par exemple, se faire un allié de l'Iran et c'est une option qu'il ne faut pas repousser avant de l'avoir explorée, tout en ayant conscience qu'il y a des dangers.

      - L'info (le réarmement rapide du monde qui nous est hostile) n'est jamais relayée par nos médias, dites-vous encore. Ecoutez, passez moins de temps au sudoku et lisez plus la presse, car on ne parle que de ça!

      - La soi-disante pauvreté de la France est relative: si vous voulez, on discute d'économie, mais en attendant, la croissance n'est pas là, et c'est un fait constant, alors que l'endettement est excessif au regard des engagements internationaux de la France, qui fondent la valeur de sa monnaie et conditionnent sa marge de manœuvre budgétaire.

      - Les danseuses budgétivores: oui, mais quel rapport?

      - L'armement est produit en France: pas toujours, mais quel rapport?

      - Cette industrie est source de richesse et d'emploi: ça se discute vraiment crayon en main. Mais cela n'a aucun rapport avec l'objet de la discussion.

      C'est agaçant, à la fin, ce manque de rigueur intellectuelle. Vous ne vous rendez pas compte que, étant profondément bordélique par nature, je compte sur mes interlocuteurs pour mettre de l'ordre dans mes pensées.

      Ayez pitié de moi.

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    5. Merci pour votre réponse très amusante! Vraiment.
      Peut-être me suis-je un peu emporté sur ce sujet?
      Reprenons:
      - "L'info (le réarmement rapide du monde qui nous est hostile) n'est jamais relayée par nos médias, dites-vous encore": Les médias englobent la presse, mais pas seulement. TV, radios, livres, cinémas, internet, etc., ... Je n'ai pas le sentiment d'un courant puissant interpelant l'opinion sur le désarmement français et européen face à l'enjeu, surtout à la télévision qui est le média dominant, non? Et en tout cas pas d'un niveau tel qu'il soit succeptible de faire réagir nos élites.
      - L'économie et le budget qui en découle (normalement, quand un pays est bien géré), amène à faire des économies et à sabrer dans les dépenses inutiles en période de croissance faible, voire inexistante et à redéployer ses moyens plus faibles vers ce qui est primordial, et/ou vital. (Voilà le rapport... Avec les danseuses de la République, dont même Bercy s'est ému il y a quelques jours!)
      - L'armement est produit en France: si ce n'est pas toujours vrai, strictement, ce l'est dans l'immense majorité des systèmes de combat: blindés, artillerie, bateaux, avions, etc. Ces productions amènent de la charge de travail dans nos industries et leurs sous-traitants bien souvent établis en France et non pas en Chine ou au Maroc, d'où emplois, d'où rentrées fiscales, d'où cotisations sociales, d'où investissements de conception et de production, ... Et à la fin du cycle de nouveaux projets. Regarder par exemple avec nos missiles ASTER, et bien d'autres sujets...
      Ce que je veux exprimer par là, c'est que l' argument "dividendes de la paix" continue à faire des ravages dans la population, et parmi nos "élites" soixante-huitardes au point que lorsque l'on ramène le nombre de FREMM de 15 à 11, et pour le même budget, d'aucuns s'en réjouissent! Ne valait-t'il pas mieux construire les 15 d'abord, quite à en exporter 4 éventuellement plus tard, que de ramener leur nombre à 11 pour une même enveloppe budgétaire? Je pense que payer la même somme pour un nombre réduit, c'est du gaspillage! Et ceci dans un pays soit disant ruiné...

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    6. @ Marcus,

      Je vous rejoins sur un point: la perception des enjeux stratégiques est toujours quelque chose de difficile tant pour les élites qui gouvernent que pour la population.

      La France a peut être, en outre, une certaine spécificité: il faut bien reconnaitre qu'on est assez peu porté sur la stratégie.

      Exemple: le dernier grand geste stratégique de la France, c'est la création de l'euro. Mais il en supposait un deuxième: le renforcement industriel. Mais ça, on l'a compris beaucoup trop tard. Et aujourd'hui, on est trèèèèèès ennuyé.

      On s'est mis dans la position d'un joueur d'échecs qui a joué un coup sans penser au coup suivant, alors que c'est le truc de base en stratégie.

      Nous sommes d'une nullité assez incroyable en matière stratégique. Et pourtant on a toute la matière grise qu'il faut et la plupart des moyens nécessaires pour avoir une stratégie. Et on a un énorme besoin de stratégie (comment survivre dans un monde où on pèse moins de 1% de la population mondiale autrement qu'en devenant une "grosse Suisse", comme disait Alain Minck). On s'en arracherait les cheveux!

      Sur la contrainte budgétaire et "les dividendes de la paix", que puis-je vous dire?

      Sans doute qu'il ne faut pas confondre les deux phénomènes: réduire la dépense militaire en tirant les dividendes de la paix a été une décision voulue, peut-être pas totalement opportune, mais en tout cas positivement voulue et désirée comme un bien. Cette décision, elle date d'une autre époque, aujourd'hui révolue. Assumer une contrainte budgétaire, c'est subi et cela résulte d'autres circonstances, qui sont actuelles.

      Par ailleurs, la France n'a pas bien géré le renouvellement de ses gammes d'armes: les missiles balistiques intercontinentaux lancés de SNLE, les nouveaux SNLE, le missile Hadès en remplacement du Pluton, le char Leclerc, le Rafale, le porte avion Charles de Gaulle, le programme d'équipement en poids lourds, les nouvelles frégates,etc, sont arrivés en même temps.

      On a choisi l'étalement des programmes, ce qui s'est révélé assez ruineux, parfois leur abandon (Hadès), souvent leur réduction (1 PA au lieu de 2) sans toujours être lucides sur nos véritables capacités à mener des programmes complexes à leur terme (le char Leclerc avec ses 56 t exigeait par exemple un moteur de 1500 cv: on a découvert tardivement qu'on était pas vraiment des motoristes dans cette gamme de puissance: MTU, oui, mais le défunt GIAT, non. L'idée de greffer une turbine française sur un moteur finlandais était sans doute excellente, mais ça comportait une dose d'innovation qui devient vite empoisonnante, quand on ne maîtrise pas bien la technologie).

      Bref, on a conduit nos affaires comme on a pu, avec souvent une mentalité assez arriérée par rapport à ce qu'exigeait le saut technologique inhérent au renouvellement des gammes d'armes que nous avons entrepris avec parfois trop de témérité.

      Aujourd'hui on récolte ce qu'on a semé et on ré-apprend à nos dépens que l'indécision stratégique et l'amateurisme, ça coûte cher.

      Mais de là à dire, comme vous le faites peut-être trop rapidement, que nos déboires trouvent leur cause essentielle dans l'idéologie pseudo pacifiste des dividendes de la paix, il y a un pas que je ne franchirai pas, pour ma part.

      On est dans la merde parce qu'on est des mauvais gestionnaires, parce qu'on n'a pas de vision stratégique de long terme, pas parce qu'on serait des pacifistes naïfs et un peu benêts.

      La faute est entièrement technocratique. Elle n'est pas démocratique. Dans cette affaire, c'est la technocratie militaro industrielle qui s'est plantée, pas le peuple.

      Cela dit, nos technocrates ont repris du poil de la bête: quand on regarde la DCNS ou Nexter, par exemple,on voit que les choses se redressent et qu'elles sont faites de façon plus intelligente, mais on se rend compte aussi que réparer tout ce qui a été cassé demandera du temps et de l'énergie.

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  6. Nous pourrions aussi nous inspirer de la période d’avant la guerre 1870, avec ces échecs successifs d’organisation (loi Niel pas appliquée), de planification, de commandement, et cette belle armée de métier et d’Afrique! Petite, courageuse mais détruite ?
    Par contre tout le monde réclamait la guerre, surtout une « nomenklatura » bien Parisienne, cela ne pourrait pas se reproduire à notre époque ? Un désastre pareil !


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  7. Mon colonel,

    Merci pour ce billet qui, une fois n'est pas coutume, nous fait nous interroger sur l'état de nos forces armées.

    D'accord avec vous sur "la crise du temps de paix", en revanche je dirai que celle que nous vivons est inverse à celle que vous décrivez. Début XXe, les gros bataillons sont là grâce à la conscription et c'est en matière d'équipements et d'innovations techniques (et tactiques comme vous le soulignez) que le "déclassement" est le plus flagrant par rapport à l'"ennemi probable". Ce sont les têtes et les poitrines de 1914 qui ont compensé ces lacunes.

    J'ai l'impression que la situation d'aujourd'hui est inverse. Malgré la baisse des crédits, nous disposons toujours d'une supériorité technologique considérable sur les adversaires que nous affrontons. Mais cet avantage technologique ne "compense" pas/plus le manque de poitrines. Et une crise majeure nécessitant de gros effectifs nous mettrait en grande difficulté.

    J'espère qu'il y a dans les tiroirs de l'EMA des plans organisant :
    - la levée, l'entraînement et l'équipement de dizaines voire centaines de milliers de jeunes
    - la reconstitution rapide et a minima d'une base industrielle (cartoucherie, manufactures d'armes, etc.) permettant d'équiper les hommes levés

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  8. la guerre de lybie a couté 800 millions d'euro à la france. et il y en a qui se plaignent de ne pas avoir assez d'argent pour faire la guerre... ou il y en a qui se demandent qui est l'ennemi, on a envie de rigoler.
    ne vous en faites psa, quand un fou aura décider de faire la guerre, il la fera, quoiqu'il en coûte (souvenez-vous d'adolf)...

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  9. Est il possible d'avoir une petite précision concernant les budgets du débuts du XXe S. cité dans l'article. Il s'agit de celui de l'ensemble des forces ou juste celui de l'armée de terre ?

    J'avais trouvé sur un site allemand un tableau comparatif des efforts de défense des ''grandes puissances'' entre 1905 et 1915 selon un politicien allemand de l'épque que j'ai retranscrit sur le paragraphe suivant :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Budget_de_la_D%C3%A9fense#Les_d.C3.A9penses_militaires_entre_1905_en_1913

    Selon Matthias Erzberger, le budget par habitant consacré à l'armée de terre en France était à l'époque le plus important des grandes nations.

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  10. Il y a aussi des problèmes d'effectifs dans la police :

    http://www.valeursactuelles.com/societe/1-3-millions-dheures-supplementaires-non-payees-lepuisement-de-la-police-francaise-55833

    Sur l'affaire des fiches, il s'agissait de faire prévaloir dans les promotions des critères idéologiques plutôt que le mérite. Dans un contexte différent, très différent même, on retrouve aujourd'hui la tentation de faire le même genre de chose avec les politiques dites de "discrimination positive".

    Espérons que les dirigeants qui en font la promotion se rendront compte que c'est une très mauvaise idée, et que les promotions doivent continuer à se faire autant que possible au mérite (ce qui est notamment une conséquence d'une bonne intégration, et pas son prérequis).

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  11. Bonjour,
    Rapprocher deux époques distantes d'un siècle pour en faire ressortir des similitudes est un exercice intellectuellement stimulant qui comporte toutefois des risques.
    Le premier est le risque d'amalgame qui consiste à faire des rapprochements généraux hors contexte. Par exemple, la croyance en l'impossibilité d'une guerre entre nations dites civilisées n'a pas les mêmes fondements à cent ans d'intervalle. Au début du XXe siècle, c'est le concert des nations, longtemps sous l'égide de l'Allemagne, qui fait office de régulateur en matière de prévention des conflits. Un siècle plus tard, ce sont les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, où prédominent les influences des derniers vainqueurs de l'Allemagne, qui tendent à prévenir la survenance de conflits régionaux ou inter-régionaux..
    Le second, aujourd'hui à la mode, consiste à analyser le passé à l'aune du présent, ce qui a pour effet d'edulcorer, voire de déformer quelque peu notre compréhension d'une époque donnée. Par exemple, si parler de mondialisation au début du XXe siècle est acceptable au sens large, cela l'est moins au sens étroit, dans la mesure où cette expression et ce concept n'existent pas à l'époque considérée où l'on évoque plutôt la révolution industrielle et l'internationalisation du capitalisme, en tant que mode de production et d'accumulation des biens au sens général.
    Le troisième paraît être la préférence donnée à la comparaison par rapport à la raison, celle-ci permettant de donner à une situation donnée des explications circonstanciée. Par exemple, rapprocher une crise des vocations militaires en période d'expansion économique et territoriale et une crise de même nature en période de ralentissement économique et de confinement territorial paraît on ne peut plus difficile, les circonstances, les règles, l'environnement, les pratiques, les moyens techniques, les populations et les mentalités ayant considérablement évolué entretemps.
    Quelques précisions auraient été bienvenues.
    Il y a plus d'un siècle, se déroule la transformation progressive d'une armée impériale et interventionniste en une armée nationale a vocation défensive, l'Arche Sainte selon l'expression employée par Dominique Lejeune en 2011, à compter des grandes lois de 1872. Récemment à eu lieu la transformation de l'armée nationale héritée de la IIIe République en une armée professionalisee et interventionniste, qui n'est cependant pas l'armée de métier, ce corps d'élite rêvé entretemps par le général de Gaulle.
    À la même époque, est poursuivi l'effort de fortification du pré carré de Vauban en métropole à travers le plan Sere de Rivière mis en oeuvre à partir de 1874.
    La fonction supplétive dévolue à l'armée nationale en matière de maintien de l'ordre et de la sécurité publique correspond au quadruplement de la criminalité française à une période d'urbanisation et d'exode rural concomitant et où les mouvements sociaux deviennent une forme d'expression courante en société, en raison des excès et des carences du capitalisme régnant. En effet, la Gendarmerie nationale créée en 1791 et aux effectifs comptés est impopulaire en raison de son implication dans la mise en œuvre de la conscription et la Police nationale, surtout présente en milieu urbain, est affectée principalement à la répression des crimes et délits commis individuellement ou en bandes organisées, telle celle dite des Apaches, et à la surveillance de certains individus.
    Merci de votre attention.
    Salutations à tous.
    Marc PIERRE

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  12. ''La leçon sera comprise puisqu’après la guerre, on créera des unités non-militaires de maintien de l’ordre pour éviter à l’armée de se couper de la nation par ce type de mission.''
    Soyons un peu plus précis :
    En 1921, les politiques, qui ont pris conscience des risques de l'emploi de l'armée pour le maintien de l'ordre (fraternisation ou violence excessive), décident de la création d'une force spécialisée de maintien de l'ordre au sein de la Gendarmerie et qui prendra le nom de Garde Républicaine Mobile. Elle sera dissoute après 1940 à la demande de l'occupant et remplacée par la Garde pour devenir plus tard la Gendarmerie Mobile.
    Les unités non-militaires de maintien de l'ordre voient le jour sous Vichy avec les Groupes mobiles de réserve (GMR) qui préfigurent les Compagnies Républicaines de Sécurité, nées par décret en 1944 signé De Gaulle. La tenue de ces derniers sera guère différentes de leurs ainés (GMR) voire de celle de la GRM devenue GM.

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  13. Bonjour ,
    Je lis avec un peu de retard votre excellent article !
    La constatation du très faible nombre d'insoumis en 1914 est portée au crédit des " hussards noirs de la république " et leur enseignement patriotique , voir revanchard , par le général Béthouart dans " Des hécatombes glorieuses au désastre : 1914 - 1940 " paru en 1972
    Le pouvoir civil , Viviani , a aussi donné à l'armée en 1914 des pouvoirs de justice qu'il aurait du assumer dans les procès pour désertion face à l'ennemi !
    Le transfert de pouvoir du civil au militaire ne s'est donc pas terminé en 1911 .
    http://www.amazon.fr/Justice-militaire-1915-1916-Andr%C3%A9-Bach/dp/2363580486
    Il faut aussi , bien sûr , évoquer les pouvoirs d'investigation accordés aux militaires durant la Guerre d' Algèrie .

    @Christian Pujol

    J'ai entendu dans une émission consacrée à l'histoire de la gendarmerie sur la chaîne " Histoire " que des spahis ont chargé les manifestants du 6 février 1934 .
    Etes vous au courant de cette utilisation des militaires contre des civils ?
    C'est cette utilisation de " troupes coloniales " qui aurait motivé le pouvoir civil à créer l' Escadron Blindé de la Gendarmerie Nationale . Ironiquement c'est Blum qui aurait utilisé cette unité pour la 1ere fois contre des ouvriers des usines Renault en grêve ( Source de mémoire : Histoire du front populaire ' - Delperrié de Bayac ) alorsq u'il voyait dans les unités blindées des " gardes prétoriennes du régime " .

    Très Cordialement
    Daniel BESSON

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