samedi 14 décembre 2013

L’ordre et le chaos-Les risques des opérations de stabilisation



Si les guerres conduites par la France depuis 1962 ont toutes été des succès, même relatifs et temporaires, le résultat des opérations de stabilisation (c’est-à-dire, rappelons-le, visant à sécuriser une population sans avoir un ennemi désigné et) est beaucoup plus mitigé. Le choix de l’impartialité dans un contexte violent rend de fait ces opérations plus complexes à conduire et au bout du compte, la « maitrise de la violence » s’avère souvent plus couteuse, et en premier lieu en vies humaines, que le choix de la guerre. Pour réussir, ces actions de stabilisation doivent éviter deux risques.

Le premier est celui de l’insuffisance des moyens, et même si des instruments comme les drones sont utiles ces moyens sont d’abord humains. Les forces en uniforme représentent environ 1 % de la population française. Dans un contexte où il s’agit d’imposer la sécurité dans une zone particulièrement difficile ce rapport est nécessairement supérieur. L’Implementation force de l’OTAN a commencé avec 55 000 hommes au milieu de 3,5 millions de Bosniaques (1 pour  60 civils), quatre ans plus tard, la Kosovo force a engagé avec 50 000 hommes pour 1,8 millions d’habitants (1 pour 36). Lorsqu’il s’engage dans la ville de Mossoul en mai 2003 (une ville de la taille de Bangui), alors en proie aux troubles, le général Petraeus est obligée d’engager la presque totalité de la 101e division, soit 20 000 hommes, pour contrôler 1 million d’habitants (1 pour 50). Lorsqu’il revient quatre ans plus tard à Bagdad (6 millions d’habitants avant la crise) en proie à la guerre civile, c’est dix brigades américaines, 80 000 soldats irakiens et presque autant de miliciens du Sahwa qu’il faut engager pour rétablir la situation (entre 1 pour 30 et 1 pour 50). 

Le rapport d’1 soldat ou policier pour 50 habitants semble donc être un minimum pour imposer un quadrillage complet d’un secteur en proie à la violence. On peut alors désarmer massivement tout en assurant la sécurité de ceux-là mêmes que l’on vient de désarmer. En dessous de ce seuil, on laisse des zones hors de contrôle, les rebelles au désarmement peuvent plus facilement se dérober et pour ceux qui ont pris les armes pour se défendre ils sont d’autant moins incités à s’en débarrasser qu’ils deviendraient ainsi vulnérables. Plus on attend pour intervenir, plus la violence s'accroît et plus les moyens nécessaires sont importants. Inversement, une fois le désarmement principal assuré et les esprits un peu apaisé, la force peut être réduite normalement assez vite. 


Tailler une force à minima c’est donc courir le risque de l’impuissance et de se contenter de l'interposition en attendant que les problèmes locaux se résolvent d'eux-mêmes. La force impuissante subit alors les événements et devient très vulnérable aux agressions diverses. Les pertes apparemment inutiles, les moins acceptables, s'accumulent alors. On notera qu'avec la réduction régulière des effectifs de leurs forces à terre et l'augmentation régulière de la population des pays en crise, cette capacité de stabilisation échappe de plus en plus aux forces armées occidentales. Avec le nouveau contrat d'objectif défini par le Livre blanc de 2013, l'armée de terre française toute entière (même aidée des vols à basse altitude des Rafale) ne peut plus assurer la sécurité au-delà d'une population d'environ 750 000 habitants. 

Le deuxième risque est, paradoxalement, de trop transformer la situation locale. L’attitude des forces étrangères vis-à-vis de la population, la durée de leur présence sur ce sol étranger, leur impact économique, plus largement la forme de la normalisation proposée par l’intervention peuvent provoquer la formation d’ennemis. L’apparition de la guérilla sunnite irakienne quelques mois après la chute du régime de Saddam Hussein est un parfait exemple de cette sécrétion. L’ennemi peut aussi venir de l’extérieur pour frapper la force impartiale comme le Hezbollah, bras armé au Liban de la Syrie et de l’Iran face à la force multinationale de Beyrouth. 

Toute la difficulté est de déceler puis surtout d’accepter cette évolution. La France déclare ne pas avoir d’ennemi au Liban juste avant de perdre 58 soldats dans une attaque. En Irak, en 2004, la Coalition commence par analyser les agresseurs comme des bandits ou des nostalgiques de Saddam Hussein et non comme un phénomène nouveau provoqué par sa présence. Le développement de l’armée du Mahdi est ignoré. La présence visible devient alors vulnérable, non plus seulement à des agressions sporadiques de bandits mais à des attaques délibérées de grande ampleur. Il faut alors, comme la 1ère division de cavalerie américaine en 2004, à la fois continuer à gérer la sécurité de Bagdad tout en combattant l’armée du Mahdi maîtresse du quartier Sadr-City en 2004.

Le processus type des opérations de stabilisation comprend donc une première phase d’imposition de la sécurité avec des forces suffisamment puissantes pour s’imposer à tous simultanément. Quelques jours peuvent suffire. Suit une phase beaucoup plus longue, généralement plusieurs années, de normalisation de la situation et de prise en compte de la sécurité par les forces locales. Les paramètres qui jouent sur le succès de la mission sont nombreux et pas toujours maîtrisables par la force engagée. Ce type d’opération paré de vertus humanitaires paraît toujours plus acceptable politiquement que la guerre, il est en réalité plus risqué. 

3 commentaires:

  1. Guerre et nature ; l'Amérique se prépare à la guerre du climat



    Peu d'intellectuels pensent la crise de manière globale, à l’exception d’une poignée d’« éclaireurs », estime Jean-Michel Valantin, chercheur spécialisé en environnement.



    http://www.terre-finance.fr/Un-livre-durable-sur-la-guerre-du-climat-aux-Etats-vtptc-13598.php

    Les Editions Prisma ont choisi de publier avec des critères de fabrication durable le livre "Guerre et nature" dans lequel l'auteur décrypte comment l'Amérique, particulièrement les forces militaires, se prépare aux bouleversements du climat.

    Docteur en études stratégiques et sociologie de la défense, spécialiste de la stratégie américaine et de sécurité environnementale, l'auteur s'est quant à lui penché sur la nouvelle place occupée par le développement durable dans le système de Défense et la Sécurité nationale américaine, dont la CIA.

    Ainsi, raconte-t-il, lors de la guerre d'Irak, la maintenance des climatiseurs militaires a eu des conséquences directes sur les risques pris par l'armée. Ce confort coûtait cher aux convois de pièces détachés, attaqués au quotidien.

    La réalité de ce terrain, les compétitions minières en Afghanistan, la raréfaction des ressources (pétrole, eau, terres arables) se traduisent, côté américain, par des changements stratégiques et doctrinaires fondamentaux, notamment en Arctique, analyse l'auteur.



    http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Michel_Valantin



    « Les penseurs visionnaires craignent une guerre »

    http://www.terraeco.net/Les-penseurs-visionnaires,40263.html

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  2. Cela suppose que les acteurs en présence soient motivés par la raison or cela n'est jamais le cas en situation de crise aigüe et que les analystes militaires aient suffisamment de temps pour pouvoir déterminer leurs actions en identifiant les leaders potentiels, ce qui n'est jamais possible car ils n'ont pas le temps de le faire. C'est d'ailleurs de cette impossibilité que découlent tous ces potentats locaux que les différents conflits (africains ou non) résolus temporairement à l'issus d' actions militaires extérieures aboutissent à rien d'autre qu'à retarder de futurs conflits qui surviendront d'une manière ou d'une autre.

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  3. Verbatim: "Ce type d’opération paré de vertus humanitaires paraît toujours plus acceptable politiquement que la guerre, il est en réalité plus risqué. "

    Effectivement, c'est "plus" risqué qu'une opération de contre-insurrection, mais uniquement parce qu'on adopte un modèle d'action programmé assez rigide:

    - Il y a d'abord la phase I, que vous décrivez: l'imposition de la sécurité. Elle n'est pas dépourvue de tout risque (la preuve, deux morts)

    - Ensuite la phase II qui suppose la relève des forces de stabilisation par des forces locales: c'est là que ça coince le plus.

    En fait dans cette phase II, il faut reconstituer un Etat qui est tombé en déliquescence. Si cet Etat a disparu ou s'est amoindri, c'est pour des raisons politiques en général complexes que la puissance étrangère intervenante doit analyser et traiter avec soin.

    Si pour une raison ou pour une autre la puissance étrangère intervenante se trompe dans son analyse et agit de travers, en mécontentant les populations locales, en bouleversants des équilibres subtils, elle peut très bien se retrouver avec une guerre civile sur les bras, en cours de phase II, avec une force opérationnelle calibrée pour la phase I, donc sans ennemi désigné, c'est à dire une force en réalité tout juste capable d'assurer son auto protection si l'environnement commence à devenir vraiment agressif à son égard.

    Quand on est à ce stade, l'évacuation des troupes devient un objectif de guerre.

    Il convient donc de ne pas commettre d'impair.

    Par exemple, en RCA, le calife à la place du calife est un type qui a pris le pouvoir à la suite d'un coup de force. Il a donc des milices et une base politique au sein de la population locale et de ce qui reste de l'administration et des élites.

    On peut, à son égard, avoir deux types d'analyses: soit on accepte l'idée d'avoir à faire avec ce qu'on a et donc on accepte que ce type reste en place jusqu'à la transition démocratique (phase II) à charge pour la population de décider ce qu'elle fait avec ce calife dans le cadre des élections. C'est son problème, après tout. Soit on ne s'en accommode pas, on le dit tout haut, on fait le nécessaire pour qu'il gicle, après s'être assuré que cette décision - qui est une ingérence, soyons clairs - sera bien reçue et bien comprise par la population locale.

    C'est typiquement à l'occasion de ce genre de problèmes qu'on peut commettre des erreurs.

    La preuve: notre Prèz adoré a fait une légère connerie, trois fois rien dans le fond, juste une phrase de trop dans un entretien à RFI. Il a fallu faire machine arrière. Bon prince, Michel Djotodia arrondi les angles, pour limoger aussi sec trois de ces ministres.

    La question qui se pose alors à son sujet est de savoir s'il acceptera de porter jusqu'en phase II son rôle de président de transition, ou si président tout court lui convient mieux, auquel cas la phase II elle-même devient une hypothèse dans un agenda politique qui devient flou.

    Cette question là faut partie des "risques" de l'opération de stabilisation. Mais cette fois-ci le risque est politique.

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