dimanche 20 avril 2014

De l’austérité comme œuf de serpent

Le 28 mars 1930, Heinrich Brüning, président du groupe parlementaire centriste au Reichstag, est nommé chancelier de l’Allemagne avec comme mission de redresser l’économie du pays. Brüning forme un gouvernement minoritaire soutenu par les partis du centre. 

Brüning est un économiste « orthodoxe ». Ses objectifs principaux sont de rétablir à la fois l’équilibre budgétaire et la « compétitivité des entreprises ». Il s’agit notamment de retrouver une balance commerciale excédentaire, afin, selon ses termes, de « mettre l'Allemagne en mesure de résister à n'importe quelle contrainte extérieure » et de « mettre à profit la crise mondiale pour exercer une pression sur les autres pays » (et de mettre ainsi un terme aux réparations). Comme il se refuse cependant à toute dévaluation du reichsmark, afin d'éviter le retour de la crise monétaire des années 1920, le seul moyen d’atteindre ces objectifs est de mener une politique déflationniste. En cela, il est en phase avec les politiques menées par les Etats-Unis jusqu’en 1932, puis, en décalage, par le gouvernement français de Pierre Laval en 1934-1935.

En juillet 1930, le Reichstag rejette son programme financier, ce qui conduit Brüning à le dissoudre. Après les élections du nouveau Parlement (septembre 1930), au cours desquelles le Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) passe de 14 à 107 députés, Brüning forme un gouvernement minoritaire toléré par le parti social-démocrate (SPD) et soutenu par le président de la République. Il gouverne dès lors par décrets-lois. Les principaux, promulgués le 6 décembre 1930, le 9 juin et le 8 décembre 1931, imposent des baisses de salaire des fonctionnaires de 10 %, puis une nouvelle baisse générale des salaires des ouvriers et des fonctionnaires, une diminution de l'aide aux chômeurs de 14 %, l'augmentation de l'âge nécessaire pour toucher cette aide (porté de 16 à 21 ans), l'exclusion des femmes du droit à ces indemnités, la diminution des allocations familiales, l'augmentation des impôts de 5 %.

Parallèlement, certaines grandes entreprises bénéficient de réductions d'impôts et de subventions. L’Etat accorde également des prêts aux banques en difficultés. Les salaires diminuent en moyenne de 20 % à 25 %. La consommation intérieure s’effondre encore mais les exportations sont restaurées. Ce résultat n’est cependant que très provisoire puisque les dévaluations anglaise de 1931 et américaine de 1933 affectent brutalement la compétitivité-prix des exportations allemandes. De fait, la politique a considérablement accentué la dépression. En deux ans, le nombre de chômeurs est passé de 3 à 6 millions.

Les conséquences politiques sont considérables. Le mécontentement général fait le jeu du parti communiste (KPD) et surtout du NSDAP. Aux élections législatives de 1928, le parti nazi n’avait obtenu que 2,6 % des suffrages exprimés. A l’élection présidentielle d’avril 1932, si le président Hindenburg est réélu, Ernst Thälmann (KPD) obtient 10,1 % des voix et Adolf Hitler 36,7 %. Hindenburg démet Brüning de ses fonctions de chancelier en mai 1932 et le remplace par Von Papen. Les nouvelles élections législatives qui ont lieu après les dissolutions du Reichstag en juillet et décembre 1932 font du parti nazi le premier parti allemand, avec 37,3 % des voix en juillet et encore 33,1 % en décembre. Hitler devient chancelier en janvier 1933.

Références
Pierre Bezbakh, « Brüning, l'austérité et la montée du nazisme », Le Monde économie, 26/11/2012
Romaric Godin, « Le fantôme d’Heinrich Brüning »,  La Tribune, 17/01/2012
Matthieu Pigasse, Eloge de l’anormalité, Plon, 2014.

14 commentaires:

  1. Je ne savais pas que la voie de l'épée était la rubrique historique des pages ''saumon '' du Figaro !
    C'est Gorafi qui a piraté le site ?

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    1. Cher Anonyme, pouvez-vous préciser ce qu'il y a de faux dans ce que j'ai écrit et accessoirement quel est le lien avec le Figaro (j'aurais plutôt cru, au contraire, en être assez éloigné) ?

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    2. Cela a été un essai dans l'humour...Mais bon

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  2. Mon colonel vous avez omis la formule rituelle des prudents " Toute ressemblance avec des personnes ou événements actuels, ne seraient que coïncidence fortuite "

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  3. Mes respects mon Colonel,
    Comme toujours, vous pointez une intéressante proximité historique. Comme aurait dit Racine, vous visitez l'histoire comme un pays étranger. C'est stimulant.
    Et pourtant tellement méthodologiquement dangereux car inexact, et nombre de vos lecteurs sont des rationnels-rationalistes en recherche de l'exactitude. Or comparaison n'est pas raison. C'est certainement le principal disclaimer "rituel des prudents" (cf Trekker) que vous auriez pu placer en épigramme de ce billet.
    Tout le danger (non) exprimé dans votre billet provient a) de la volonté de rationaliser et optimiser les comportements humains comme on a tenté de le faire de et par l'économie et b) de penser que tout se met en place vers une inéluctable arrivée aux affaires de partis politiques longtemps minorés, à la faveur d'une conflagration économique mondiale (crises dévaluationnistes US et UK de 1931 et 1933, montée du chomage et accroissement de pression fiscale nationaux).
    Ce serait faire peu de cas de la volonté et du volontarismes, deux données non réductibles à des computations mathématiques et-ou économiques.
    D'ordinaire, c'est ce que vos billets mettent en avant : la nécessité de s'éloigner de la facilité des tropismes rationalistes pour ramener l'Humain (par exemple la guerre, la mort, la loyauté, l'esprit d'appartenance, la reconnaissance, la formation) au cœur des problématiques entremêlées (je pense, en vrac et entre autres, réduction des effectifs, diminution des moyens, géopolitique des arcs de crise, oscillation des postures entre smart et hard power, écueil du soft par défaut, etc).
    Ok, tout ressemble, mutatis mutandis, à 1930-1938 ? On ne pourrait donc rien ? Les cliquets s'engrènent ?
    Prudemment, vous ne criez pas haro contre l'expérimentation politique qui pourrait en sortir. Pas plus que vous ne hurlez au loup. C'est sioux ; à vos lecteurs d'y lire ce qu'ils veulent.
    Pour ma part, je vois surtout un danger méthodologique à penser que les choses sont mécaniques, reproductibles et pouvant être mises en algorithmes. Je laisse la psychohistoire à Ari Seldon et le sermon sur la chute de Rome à Augustin.
    Si on veut éviter les effets d'un choc économico-politique similaire à 1930-1939, il faut effectivement envisager cliniquement sa possibilité de survenue. Se voiler la face serait pire que contreproductif. Ayant spéculativement (speculare, voir clair) perçu cette hypothèse, il conviendra alors de s'attacher à la rendre impossible si on le souhaite.
    C'est ce que je souhaite retirer de votre billet sybillin./.
    Bien respectueusement,
    Cl'H./.

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    1. pardon... je me relis : sibyllin./.
      Cl'H./.

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    2. Bonsoir Colin,
      c'est un argument sérieux que vous m'opposez.
      Rassurez-vous, je ne crois pas à la psychohistoire, J'ai même essayé de montrer dans La chair et l'acier les dégâts de l'illusion des lois de l'Histoire à la fin du 19e siècle.
      Pour autant, je crois à l'appui de l'analogie pour la réflexion dans certaines limites. Lorsque les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, il faut évidemment en tenir compte...tout en gardant à l'esprit que les séquences ont toujours une fin (la dinde inductive de Russel qui croît après de nombreuses observations que l'homme est fait pour la nourrir doit se méfier à l'approche de Noël). Les politiques déflationnistes des années 1930 ont engendré des monstres mais aussi des individus comme Keynes qui se sont demandés ce qui se passerait si on inversait les équations. Mon personnage préféré de Fondation est justement le Mulet. Je vais peut-être écrire quelque chose sur lui.
      Merci de ce commentaire.
      Bien à vous,
      MG

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  4. Très interessant...
    Restons vigilants...

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  5. "En cela, il est en phase avec les politiques menées par les Etats-Unis jusqu’en 1932, puis, en décalage, par le gouvernement français de Pierre Laval en 1934-1935."

    Le Front populaire, lui, a dévalué la monnaie (ce qu'il n'avait pas prévu de faire, et qui était par ailleurs proposé par Paul Reynaud) mais fait monter les prix par les diverses mesures sociales.

    D'après Jean-Charles Asselain :

    http://www.amazon.fr/Histoire-economique-France-XVIIe-si%C3%A8cle/dp/2757822918/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1398066912&sr=8-1&keywords=jean-charles+asselain

    s'il est vrai que la déflation Laval a agité les contemporains et le Front populaire été mieux perçu, lorsqu'on regarde les niveaux de vie cela aurait dû être l'inverse. D'après lui la majorité des français a vu ce niveau de vie se maintenir sous Laval (car les prix ont aussi baissé), et légèrement augmenter puis baisser, avec un bilan globalement négatif, sous le Front populaire.

    Cela rejoint cette phrase de conclusion d'un article récent :

    http://www.atlantico.fr/decryptage/retour-damnes-terre-que-histoire-apprend-desequilibres-sociaux-qui-attendent-inegalites-matthieu-mucherie-louis-maurin-1047971.html?page=0,1

    "Ce que tend à nous montrer l'histoire, c'est que la tension sociale n'est pas une question de crise économique, mais de décalage entre la situation des citoyens et leurs aspirations."

    sur le décalage entre les perceptions et la réalité (je ne me prononce pas sur le reste de l'article...).

    D'ailleurs, le ressentiment allemand envers la partie financière du traité de Versailles était largement affaire de perception, lui aussi.
    Après la défaite française de 1870, Bismarck nous a fait payer une indemnité de 5 milliards de franc-or (4,25 milliards de mark-or), alors que les troupes françaises n'avaient (presque) rien cassé outre-Rhin. Nous l'avions payé très facilement, avec remboursement des emprunts fait pour cela auprès de la finance anglaise en 3 ans.
    Après la première guerre mondial, le traité de Versailles prévoyait une indemnité de 120 milliards de mark-or, réparti entre France, GB et Belgique, dont l'Allemagne a finalement payé 20 milliards (10 à la France, 5 aux deux autres).
    Mais le PIB allemand de 1920 était 3 fois supérieur au PIB français de 1872 : croissance démographique et développement de l'économie aidant.
    On voit donc qu'en dépit des destructions massives, et parfois volontaires et gratuites, dans le Nord de la France, les Allemands ont payé en proportion de leur PIB l'équivalent de 6,7 milliards de mark-or 1870, à comparer aux 4,25 milliards payés par la France...pas de quoi faire un scandale de leur côté.

    Dans le livre de Margaret McMillan sur Versailles, cette réévaluation du poids financier du traité par les historiens est mentionné à plusieurs reprises. Et, dans un autre livre dont je n'ai plus la référence en tête, on parle du rôle de propagandiste pro-Allemand joué par...Keynes, qui n'a donc pas toujours été du bon côté de la Force.
    La perception d'une injustice de ce traité, inexact sur les aspects financiers, a aussi joué un rôle dans la suite.

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  6. Votre billet laisse à croire, que l'ascension de Hitler au pouvoir n'aurai pour cause que des raisons économiques. Vous laissez ensuite "subtilement" entendre qu'une même politique économique produirait aujourd'hui les mêmes effets.
    Vous y allez un peu vite! C'est oublier tout le contexte politico social; Allemagne vaincue, tentatives de putschs, territoires perdus, guerre civile larvée, territoires occupés; qui s'y ajoute. Quand à mettre sur un pied d'égalité en terme de dangerosité et de nocivité la NSDAP et le FN pour ne pas le citer. voila qui relève du pur fantasme gauchiste.
    Enfin, si en science "les mêmes causes produisent les mêmes effets", l'Histoire, elle, ne se reproduit jamais.
    Attention à ne pas tomber dans le travers de ces "stratèges" qui, à force de préparer la guerre d'hier n'ont pas vu venir celle de demain.

    ZAKALWE.

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    1. Un coup je suis le relais du Figaro, un autre je participe d'un fantasme gauchiste.
      Heureusement que les mêmes politiques déflationnistes n'ont pas amené des NSDAP partout. En fait, je pensais surtout à la Grèce et à Aube dorée mais maintenant que vous le dites....

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    2. Il n'était pas dans mes intentions de vous faire participer d'un fantasme gauchiste. Je voulais seulement dénoncer un amalgame bien franco français et, ce faisant j'ai manqué d'ouverture d'esprit.

      ZAKALWE.

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  7. "L'histoire, la seule leçon qu'elle prétend donner, c'est qu'il n'y a pas de leçons de l'histoire."(Lucien Febvre). On a dit aussi que l'histoire ne se répétait jamais, sinon comme farce. Il faut se méfier des comparaisons entre l'Europe de 1932 et celle de 2014. La montée des populismes a laquelle on assiste actuellement a bien d'autres causes que la situation économique et fort heureusement, les leaders politiques d'aujourd'hui qui exploitent cette veine n'ont fort heureusement pas la trempe et la détermination d'un Hitler.

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  8. Oui faut pas oublier de préciser que de 5 575 000 de chômeurs en 1932 ils n'étaient plus que 380 000 en 1939, l'Allemagne a relancé son économie en la planifiant, de la même façon que le Général De Gaulle en 1958 la planifiée grâce au secteur bancaire mis service de l'investissement et non de la spéculation.

    On nous rabat les oreilles de la solution finale des nazis concernant la 2ème guerre mondiale mais on oublie trop souvent de parler de cette fameuse crise de 29 parti des USA pour finir en Europe (toujours les mêmes causes et les mêmes conséquences) qui à engendré ce monstre froid et impitoyable ? qui est responsable le docteur Frankenstein où sa créature ?

    On oubli de parler de la politique Anglaise qui en "balkanisant" l'Europe, a systématiquement entravé son développement, tandis qu'elle ne cessait de perfectionner les routes de la mer, contrôlées par ces trusts.

    Il y a eu la France et l'Empereur on y retrouve le même combat économique l'Angleterre à eu notre peau ensuite le tour de l'Allemagne l'Amérique et l’Angleterre à eu sa peau puis la parenthèse soviétique entre temps le flambeau passé aux USA et maintenant c'est autour de la Russie il n'auront de cesse (Amérique,Angleterre) d'empêcher l'émergence d'une Europe puissance tournée vers l'Eurasie....

    Car il perdrait le contrôle de commerce et pour eux c'est inacceptable !....

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